La présente note a pour objet de permettre à nos clients, dans un contexte économique particulièrement impacté par les mesures de confinement liées au COVID 19 et dans un environnement règlementaire qui évoluera très vraisemblablement dans les prochaines heures :
En effet, il ne fait pas de doute qu’en raison des mesures de prévention règlementaires indispensables qui impacteront la vie des entreprises au cours des prochaines semaines, de nombreuses questions vont se poser sur le sort des engagements contractuels souscrits par les entreprises avec leurs clients, leurs fournisseurs et de façon plus large avec les différents acteurs économiques liés contractuellement à l’entreprise.
Or, et par principe, sur le terrain juridique, sauf les dérogations admises par la loi, une partie à un contrat ne peut pas imposer à l'autre une modification du contrat qu'elle estimerait conforme à ses intérêts. La règle clairement prévue par le nouvel article 1193 du Code civil.
Cette règle de principe de la force obligatoire du contrat comporte toutefois des exceptions légales dont trois principales :
Ce sont ces exceptions légales que nous vous présenterons pour vous permettre d’en faire un usage adaptée dans le cadre des situations auxquelles votre structure sera inéluctablement confrontée dans les prochaines semaines que ce soit en sa qualité de cliente ou de fournisseur.
Schématiquement, la force majeure est un évènement imprévisible, irrésistible, échappant au contrôle du débiteur d’une obligation (de faire ou de payer) et qui entraîne sur le plan juridique la suspension ou la résolution du contrat.
Définition
La force majeure est constituée par un évènement correspondant aux caractéristiques fixées par les parties ou, à défaut, par la loi et qui exonère le débiteur de toute responsabilité au titre de l’inexécution de ses obligations contractuelles (C. civ. art. 1231-1 nouveau).
Stipulations contractuelles sur la force majeure
Les parties sont en principe libres d'aménager les conditions et les effets de la force majeure.
A défaut et depuis le 1er octobre 2016, l'article 1218, al. 1 du Code civil définit ce qu'est la force majeure « en matière contractuelle ».
Il ressort de cette définition que :
- l'événement échappe au contrôle du débiteur, ce qui suppose que l'événement ne doit pas tenir à la faute du débiteur, et qu'il doit à la fois être inévitable et extérieur au débiteur;
- l'événement ne pouvait pas être raisonnablement prévu au moment de la conclusion du contrat, ce qui suppose qu'il doit être imprévisible ;
- l'événement doit produire des effets qui ne peuvent être évités par des mesures appropriées, il doit par conséquent être irrésistible.
Au cas particulier, et sans pour autant que cette déclaration ait une réelle portée sur le plan juridique dans la mesure où la reconnaissance de la force majeure relève de l’appréciation souveraine des tribunaux, le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire a déclaré le 28 février 2020 : Le coronavirus sera "considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises"
Impossibilité d'exécution de l'obligation
Pour que le débiteur soit libéré, il faut encore que l'événement qu'il invoque pour justifier l'inexécution de son obligation ait « rendu absolument impossible » l'exécution de son obligation ou ait imposé la violation d'une obligation lui incombant.
Effets de la force majeure
Le débiteur d’une obligation qui peut invoquer la force majeure est exonéré, selon le cas (C. civ. art. 1218, al. 2 et 1231-1 nouveau) :
- temporairement de l'exécution des obligations concernées si l'empêchement n'est pas définitif, à moins que le retard en résultant ne justifie la résolution du contrat ; il n'est pas non plus tenu de réparer le dommage que le retard, quel qu'il soit, peut causer au créancier;
- définitivement de l'exécution de ses obligations si l'empêchement est définitif, car il en résulte la résolution de plein droit du contrat et la dispense de tous dommages-intérêts susceptible de naître de l'empêchement.
La résolution de plein droit opérant par l'effet de la loi, chacune des parties peut l'invoquer et, en cas de résistance de l'autre partie, demander au juge de la constater et se prévaloir des effets attachés à la force majeure
Ces solutions sont applicables aux cas de force majeure survenu depuis le 1er octobre 2016 même s'il affecte un contrat conclu avant cette date car la force majeure est un fait juridique qui obéit aux règles applicables au jour de sa survenance.
Depuis la réforme du droit des obligations en 2016, le nouvel article 1195 du Code civil prévoit la possibilité d'imposer à son cocontractant l'adaptation du contrat en cas de changement imprévisible de circonstances.
Contrats soumis à la disposition nouvelle
En principe, le nouvel article 1195 du Code civil est applicable aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016. En revanche, il ne l'est pas aux contrats conclus avant cette date.
Droit de demander la révision
Selon la doctrine juridique majoritaire, le droit de demander la révision du contrat est un droit d'ordre public, auquel une partie ne pourrait valablement renoncer dans le contrat. En d’autres termes, quelles que soient les clauses d’un contrat, nous estimons qu’il n’est pas possible de renoncer à se prévaloir dés l’origine (soit lors de la conclusion du contrat) du mécanisme de l’imprévision.
Conditions d'ouverture du droit à révision
Une partie peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat lui rend l'exécution excessivement onéreuse et si elle n'a pas accepté dans le contrat d'en assumer le risque (C. civ. art. 1195, al. 1).
Mise en œuvre de la révision
Renégociation conventionnelle du contrat
Demande de renégociation présentée au cocontractant
La partie victime du changement de circonstances peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant (C. civ. art. 1195, al. 1). Aucune forme particulière n'est requise pour la présentation de la demande. Mais cette demande ouvre la procédure dite de « renégociation » du contrat ; elle est le préalable aux mesures qui pourront suivre, celles-ci n'étant expressément ouvertes qu'« en cas de refus ou d'échec de la renégociation ». La partie demanderesse a donc intérêt à se prémunir de la preuve qu'elle a présenté cette demande et celle, le cas échéant, du refus qui lui a été opposé ou de l'échec de la tentative de renégociation. Aller directement devant le juge l'expose à une fin de non-recevoir pour méconnaissance de la lettre de l'article 1195, mais aussi de la nécessaire tentative de rapprochement qui doit précéder toute assignation (CPC art. 56 et 58).
Poursuite de l'exécution du contrat
Le demandeur de la révision du contrat doit en principe continuer à exécuter ses obligations jusqu'à l'expiration de la négociation qu'il a provoquée (C. civ. art. 1195, al. 1), dans la mesure où le changement de circonstances n'a pas par lui-même rendu irrémédiable l'inexécution du contrat.
N.B : Le demandeur est libéré seulement si ce sont les circonstances imprévisibles elles-mêmes qui en ont imposé l'arrêt ou lorsque l'obstacle ne peut plus être surmonté. Il en résulte que si le cocontractant cesse d'exécuter ses obligations sous prétexte d'imprévision, il encourt les sanctions applicables au défaut d'exécution.
Succès de la négociation
Si les parties parviennent à s'entendre sur de nouvelles clauses et si, ce qui sera le cas sûrement en pratique, un nouvel écrit est rédigé, elles doivent s'assurer que son contenu est en harmonie avec les clauses du contrat qui demeurent inchangées.
Refus ou échec des négociations
Résolution conventionnelle du contrat
Si les parties n'arrivent pas à renégocier le contrat, elles peuvent d'un commun accord décider de le résoudre à la date ou aux conditions qu'elles déterminent (C. civ. art. 1195, al. 2).
Demande commune faite au juge d'adapter le contrat
Les parties peuvent aussi demander d'un commun accord au juge de procéder à l'adaptation du contrat (C. civ. art. 1195, al. 2).
Une partie peut demander au juge de réviser le contrat ou d'y mettre fin (C. civ. art. 1195, al. 2).
L'article 1220 nouveau du Code civil légalise, en reprenant sa désignation sous l'expression d'« exception d'inexécution », la règle selon laquelle, lorsque le contrat est synallagmatique, la partie qui n'a pas encore exécuté son obligation peut s'abstenir de le faire si son cocontractant n'a pas exécuté la sienne ou a refusé d'y procéder, à condition de prouver cette inexécution.
La partie qui désire invoquer l'exception :
- ne peut le faire qu'à l'encontre de l'obligation même qu'elle prétend inexécutée,
- si l'exception est exercée après le 1er octobre 2016, peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle, à condition de notifier cette suspension dans les meilleurs délais (C. civ. art. 1220) ;
Cette disposition peut être appliquée, à notre avis, à l'inexécution d'obligations nées de contrats conclus avant le 1er octobre 2016.
- doit invoquer une inexécution suffisamment grave de la part de son cocontractant (C. civ. art. 1219 nouv. reprenant une solution constante), ce que les juges apprécient souverainement ;
- ne doit pas être à l'origine du défaut d'exécution qu'elle impute à son cocontractant, car nul ne peut se prévaloir de ses fautes ;
- doit refuser d'exécuter une obligation d'une importance comparable à celle qui n'a pas été exécutée ;
- doit limiter sa réaction à la suspension provisoire d'inexécution de ses obligations et ne pas décider, l'exception d'inexécution serait-elle fondée, de rompre le contrat litigieux.
Ces conditions sont suffisantes. Il importe peu que l'autre partie n'ait pas été mise en demeure.
CONCLUSION :
Les entreprises devront relire les contrats et les Conditions générales de vente qui les lient à leurs cocontractants, vérifier comment est notamment rédigée la clause de force majeure qu’ils contiennent, le cas échéant et définir une stratégie adaptée à leur situation particulière, quelle que ce soit leur qualité de cocontractant (fournisseur, client, partenaire économique…).
Au-delà de la question de la force majeure, les entreprises pourraient aussi s’interroger sur l’existence d’une cause d’imprévision ou encore sur la réaction à adopter en cas d’inexécution de leurs obligations par leurs cocontractants.
Nous soulignons en tout état de cause qu’une gestion avisée nécessitera de prendre des options adaptées à chaque situation en prenant notamment en considérations la nature de la mesure juridiques souhaitée (solliciter la suspension, la résolution, voire la renégociation des conditions des contrats liant l’entreprise aux à leurs cocontractants) ainsi que la date de conclusion et de la nature du contrat considéré (contrats de location de matériel, baux commerciaux, contrats de fourniture et d’approvisionnement…).